twitter facebook

Polynesia

La trilogie de Jean-Pierre Bonnefoy

5 classes d’iA

Retour à la page 51e SIÈCLE AngKor et les Vaisseaux-Lumière

Cinq classes d’Intelligences Artificielles

Extrait de l’interview réalisée par Jean-Pierre Laigle pour la revue « Présence d’esprits » no. 66 de décembre 2010

J.P. Laigle : Cette société est quand même assez curieuse : les intelligences artificielles sont à la fois la classe dominante et le prolétariat encadrant bénévolement par le haut et par le bas une humanité en apparence prospère, dirigeant son destin et la soulageant de tout travail pénible et aliénant (et peut-être de la faculté de penser, sauf quelques individus d’exception comme le héros de la trilogie). Mon interprétation est-elle correcte ?

J.P. Bonnefoy : Oui, les iA constituent à la fois une certaine classe dominante et en même temps un prolétariat, encadrant tous les deux, par le haut et par le bas, une humanité en apparence prospère. Au passage, je précise que j’aime bien la nuance « d’apparence prospère » car la prospérité d’une humanité ne relève peut-être pas uniquement du fait qu’elle serait soulagée de tout travail pénible et aliénant, disons que cela contribue mais n’est pas suffisant, d’où l’apparence. Les iA sont partout, à tous les niveaux de la société, avec des fonctions et des pouvoirs très variés. Le monde du LIe siècle ne subit pas une invasion de robots de SF des années 50/60 mais plus exactement celle de processus informatiques aux compétences relevant de l’intelligence (adaptabilité, raisonnement, décision). Tous ces processus sont plus moins délocalisés au sein de la société et implantés dans différents « substrats » ou « systèmes ». Aucun domaine n’y échappe. On peut identifier au moins cinq formes d’iA ayant des statuts extrêmement différents (mais il y en a d’autres dans Polynesia) : « ceux qui discutent dans l’ombre » et les réplicateurs, les iA « de tous les jours », les BioCom et les iA personnelles. La classe dominante est constituée de « ceux qui discutent dans l’ombre » et des réplicateurs. Ce sont toujours des programmes immatériels et les iH ont dû finir par les « intégrer dans le paysage » au point de ne plus y penser. Les réplicateurs gèrent le fonctionnement de la partie vaisseaux-machine des arches stellaires que sont les vaisseaux-lumière. Ils décident aussi de la réplication des vaisseaux eux-mêmes. Ils répliquent également tous les objets nécessaires à la vie des iH. Ils ont un statut quasi divin et leur seule présence pourrait faire penser à une utopie, mais ils ne possèdent pas tous les leviers de commande. « Ceux qui discutent dans l’ombre » agissent à l’interface de deux types de pouvoirs souterrains de la nature de l’espionnage. Interface entre les réplicateurs et les Conseils de la Confédération. Interface entre les Conseils et les iH. Un certain prolétariat est représenté par les iA « de tous les jours », ces iA que l’on rencontre partout. Elles sont anthropomorphes au point que les iH (AngKor lui-même) ont souvent du mal à distinguer une iA d’un iH. Par ailleurs, certaines iA ont un statut très proche de celui des iH et d’autres un statut nettement inférieur. Cette situation est génératrice de comportements plus ou moins racistes qui semblent s’accentuer dans le cadre de l’Expérimentation, notamment avec les groupes d’iH – a priori indépendants des partis politiques - plus ou moins fanatiques et se référant aux modèles anthropologiques dérobés à AngKor. Les BioCom sont au service total des iH et ont pour objectif de satisfaire le moindre de leurs désirs. Ils n’appartiennent pas au concept de « robot » si cher à la SF. Ce sont des systèmes hybrides numériques et biologiques, experts en hypercommunications de toute sorte, indispensables aux iH. On peut les voir comme les noeuds d’un gigantesque réseau d’information propre à chaque vaisseau. Leur aspect normalisé est celui d’un petit lézard vert. Mais ils peuvent prendre des formes et des couleurs variées. Ils sont enroulés autour du poignet gauche des iH et s’ils viennent à s’en écarter – ce qui est de la responsabilité de l’iH propriétaire – la plupart des gouvernements des vaisseaux jugent alors indécent leur comportement. Les iA personnelles sont toujours des programmes et n’ont donc pas de forme, même si leurs performances vont parfois très au-delà de celles des iA anthropomorphes. Il s’agit toujours de systèmes localisés au sein des cellules d’habitation, et totalement au service d’un iH donné. Un iH dispose toujours d’un BioCom et d’une iA personnelle sorte de secrétaire à tout faire. Ce bestiaire iA semble montrer que les iH n’ont pas le pouvoir. L’échange d’informations de toute nature inter-vaisseaux brise cette conclusion hâtive, car s’il est exact que l’information intra-vaisseaux passe nécessairement par les BioCom, les Transmetteurs Hyper-Médias, les Hyper-Bases, etc. et qu’elle est donc susceptible d’être contrôlée par des iA et par « ceux qui discutent dans l’ombre », il n’en est pas de même entre les vaisseaux. Les transferts d’informations entre les 26 000 vaisseaux de la Confédération ne peuvent se faire qu’avec la conscience des iH prenant le RHET, le Réseau Hyper-Espace-Temps de télétransportation instantanée, dans lequel aucune matière non consciente d’elle-même ne peut circuler. Avec le RHET, les iH disposent d’un pouvoir qu’aucune iA ne peut approcher. Par exemple, les réplicateurs, classe iA supérieure, capables de répliquer des vaisseaux entiers de taille planétaire doivent quand même compter sur le bon vouloir des iH pour initialiser chaque nouvelle arche stellaire. Je pourrais donc ici modifier ma réponse initiale à votre question : oui, les iA encadrent et dirigent tout, mais leur pouvoir s’arrête là où commence celui d’une classe qui leur est supérieure.