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Polynesia

La trilogie de Jean-Pierre Bonnefoy

Livre Univers

Retour à la page 51e SIÈCLE AngKor et les Vaisseaux-Lumière

Livre Univers

Extrait de l’interview réalisée par Jean-Pierre Laigle pour la revue « Présence d’esprits » no. 66 de décembre 2010

J.P. Laigle : "Polynesia" ressemble à un livre-univers. Dans la mesure où il renferme quelques points obscurs, je dirais plutôt que c’est pour le moment un chapitre d’un livre-univers.

J.P. Bonnefoy : Cela va peut-être vous étonner, mais j’ignorais jusqu’à ce jour le terme même de « livre-univers ». J’aurais donc écrit un tel livre, un peu comme Monsieur Jourdain faisait de la prose... Du coup, j’ai fait des recherches et suis tombé sur la thèse de Laurent Genefort (Architecture du livre-univers dans la science-fiction, université de Nice 1997) qui donne les caractéristiques du genre. Par exemple : « l’arrière-plan galactique », « les frontières symbolisées par un éloignement dans le temps et dans l’espace », « les éléments formant un système-monde », etc.. Par ailleurs, le livre-univers s’intéresse à un aspect « interprétation de l’univers », thème central des tomes 2 et 3 de Polynesia. Quant à l’auteur du livre-univers, il a souvent recours aux « néologismes », ainsi qu’à « une vision qui privilégie la complexité, en même temps qu’une appréhension multiple de la réalité », etc.. Il est vrai que tous ces procédés se retrouvent dans ma trilogie et semblent bien faire de Polynesia un livre-univers. Mais, et vous avez encore raison, Polynesia est peut-être un « chapitre d’un livre-univers », ce qui pourrait être une autre manière de votre part de m’encourager à écrire non seulement la suite mais aussi à développer certains millénaires restant un peu mystérieux. Il y a matière à développements, et je fais plus qu’y songer. Ce modèle de livre-univers est aussi intéressant en ce sens qu’il résulte, pour Polynesia, d’une architecture particulière où trois époques considérablement éloignées dans le temps et dans l’espace sont en interaction constante. L’étalement des enjeux sur 5000 ans, depuis l’époque des anciens Polynésiens jusqu’à la Confédération de l’Expansion Galactique du LIe siècle en passant par le présent, est fondamental dans la trilogie, et justement, parce qu’il paraît illusoire de tout raconter dans le détail, alors il reste des zones d’ombre manifestes et voulues, ce qui ferait bien de ma trilogie « pour le moment un chapitre d’un livre-univers » ainsi que vous le dites. Ces réflexions me font penser à d’autres remarques sur la nature de Polynesia. Il ne fait aucun doute que d’une manière « limite » - je veux dire mi-romanesque et mi-réflexions générales – Polynesia pose des questions classiques sur les rêves, les souvenirs, la mémoire, la conscience, le temps, etc. Nul doute que les héros – et/ou le narrateur – s’interrogent souvent, de manière plus ou moins sous-entendue, sur ces domaines inépuisables et toujours sources de discussion. Les réflexions sur les formes, les signes, les représentations, si elles portent les différents héros sur les marches du pouvoir, de l’amour et de la haine, sont aussi un moyen souterrain de l’auteur – je le confesse – de s’interroger sur ces questions. On voit là un autre aspect que je qualifierais de « multiniveaux » de Polynesia. On peut suivre les aventures de Ta’aroa, d’Alpha et d’AngKor au premier degré, on peut aussi au second degré lire entre les lignes. De la même manière que l’on peut aussi naviguer, au choix, à bord d’une ancienne pirogue d’il y a 2000 ans, d’un voilier moderne du XXIe , ou d’une arche stellaire du LIe siècle. Ces remarques peuvent aussi s’inscrire dans le modèle livre-univers dans la mesure où L. Genefort précise que la création d’un « système-monde » présente « pour le romancier une valeur esthétique autant qu’idéologique ». En prenant connaissance de cette idée, je me suis rendu compte que j’avais naturellement imprégné Polynesia non seulement d’une certaine structure mais aussi d’un système de pensée qui est bien entendu le mien. Que je m’étais livré dans ces livres, de façon plus ou moins implicite et diffuse, à des approches scientifiques mais aussi idéologiques. Celle où par exemple le LIe se révèle un monde du futur à la fois humain et inhumain, envahi par les hypertechnologies certes mais où les BioCom apportent une touche inédite, où l’on peut penser tout en étant également sous contrôle de penser ! Où tout est à la fois structuré et chaotique, naturellement paradoxal et plutôt anti-utopique. Finalement un monde réaliste, où l’on découvre que les représentations humaines, de même que les concepts – tels ceux qualifiés de « mots primitifs » par Pascal – pourraient se révéler relatifs et perdraient, et c’est ce que je crois, leur aspect absolu, voire dogmatique. Polynesia s’inscrit donc bien là encore dans la catégorie livre-univers par la marque d’un système qui dévoile aussi l’auteur.