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Polynesia

La trilogie de Jean-Pierre Bonnefoy

S’ils existent mais où sont-ils ?

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Enrico Fermi, physicien des années 1940/50, se serait un jour interrogé sur l’existence de civilisations extra-terrestres. Il est connu du grand public en raison d’une phrase célèbre : « Mais s’ils existent, alors où sont-ils ? »

Ces quelques mots sont réputés comme évoquant le fameux «  Paradoxe de Fermi » que l’on peut résumer ainsi :

L’univers a 12,5 milliards d’années et la Terre 4,5. Notre planète est donc jeune et si les extra-terrestres existent, de nombreuses civilisations ont dû se développer depuis bien longtemps. Certaines de ces civilisations devraient être technologiquement très en avance sur nous. Certaines ont dû entreprendre des voyages conduisant à des colonisations stellaires. On pense que la colonisation de notre Galaxie ne prendrait que quelques millions d’années, temps très court par rapport à leur émergence. De ce fait, on devrait détecter leur présence sans grande difficulté. Or on ne détecte rien du tout ! D’où le paradoxe.

Serions-nous seuls dans notre Galaxie ?
Serions-nous seuls dans l’univers ? (question également posée par la fameuse équation de Drake évoquée dans « La vie sur une exoplanète »)

La question de l’existence des extra-terrestres n’est pas explicitement abordée dans Polynesia mais elle apparaît implicitement par l’essaimage considérable des 26 000 vaisseaux-lumière des 150 milliards d’humains qui ont conquis une partie de la Galaxie, a priori, sans rencontrer de signes d’une quelconque civilisation non humaine. Je ne peux plus utiliser le terme « extra-terrestre » étant donné que justement les humains du 51ième siècle ont abandonné la Terre depuis plus de deux mille ans et sont donc, eux-mêmes, devenus des « extra-terrestres » !

Cependant, il y a implicitement dans le tome 1 de Polynesia comme une « thèse » (ce thème est un peu fort). Et par ailleurs, le tome 3 semble également y faire référence avec le développement des SAP (Systèmes Auto-Portés) que les enfants se sont appropriés.

Cette « thèse » est donc celle que nous pourrions être seuls dans « l’univers ». J’ai mis univers entre guillemets car je pense que ce mot est très souvent utilisé pour parler de différentes « étendues » dans ce qui est réellement le seul univers, c’est-à-dire la totalité de ce qui nous entoure jusqu’aux galaxies les plus reculées.
Par exemple, « l’univers » où est les vaisseaux-lumière de Polynesia évoluent représente quelque chose comme un espace plus ou moins sphérique (un peu déformé vers le noyau galactique) vaguement centré sur la Terre et d’un rayon de quelques centaines, voire un millier, d’années-lumière. Ce qui ne représente somme toute qu’une infime partie de notre Galaxie dont le diamètre est de l’ordre de 90 000 années-lumière.
Il est intéressant de constater que bien des réflexions sur le paradoxe mélangent des étendues d’univers très différentes. Par exemple, la totalité de l’univers observable avec ses 150 milliards de galaxies d’une part, et notre seule Galaxie d’autre part. Comme si implicitement il fallait réduire les réflexions du paradoxe à notre environnement galactique…
En fait, si nous étendions le « ils » et le « où » et si nous nous interrogions sur les paramètres de communication etc. du paradoxe, alors nous aurions une foule de questions comme celles ci-dessous, et pour lesquelles on voit bien que les hypothèses de réponses raisonnables peuvent être vraiment très différentes.

➢ la vie existe-t-elle dans l’univers dans sa totalité ? Réponse très probable : oui.

➢ une vie au moins aussi intelligente que la nôtre existe-t-elle autour des étoiles proches de nous ?
Réponse très probable : non.

Et ainsi de suite …

➢ une vie intelligente existe-t-elle dans tout l’univers ?
Réponse très probable : c’est bien possible.

➢ une vie intelligente existe-t-elle dans notre Galaxie ?
Réponse très probable : à part la nôtre, on peut se le demander, d’où le paradoxe

etc.

➢ une vie intelligente dont nous pourrions détecter la présence existe-t-elle dans tout l’univers ? Réponse très probable : non.

➢ une vie intelligente avec laquelle nous pourrions communiquer existe-t-elle dans notre proche environnement stellaire ?
Réponse très probable : peut-être …

En général, plus ou moins implicitement, le paradoxe semble se limiter à :
➢ la vie de civilisations au moins aussi développées que la nôtre,
➢ pour une étendue d’univers limitée à notre Galaxie, ce qui est très réducteur... mais très réaliste !

Par ailleurs, lorsque le paradoxe de Fermi est évoqué dans Polynesia, c’est bien au sujet de civilisations plus ou moins comparables à la nôtre. On ne se pose pas la question de virus extra-terrestres.
De fait, on ne peut pas parler sérieusement de ce paradoxe sans expliciter les paramètres sous-jacents, comme par exemple, entre autres, quelle étendue d’univers est concernée par le « où », ou « quels voyages stellaires possibles » ?
Ainsi, Nicolas Prantzos, un chercheur du CNRS, propose-t-il une "Approche analytique du paradoxe de Fermi" qu’il limite de fait à notre Galaxie, et non à l’univers dans sa totalité, comme s’il supposait implicitement que le paradoxe était déjà suffisamment difficile à lever pour notre seul environnement galactique.

I) Notre civilisation n’est pas la seule civilisation technologique dans la galaxie

II) Notre civilisation est « moyenne » (typique) à tout point de vue ; en particulier, elle n’est pas la première à paraître dans la Galaxie, ni la plus avancée sur le plan technologique, ni la seule à vouloir explorer le cosmos et communiquer avec d’autres civilisations ;

III) Les voyages intersidéraux ne sont pas trop difficiles pour des civilisations légèrement plus avancées que la nôtre ; certaines ont maîtrisé ce type de voyage et ont entrepris un programme de colonisation galactique, avec ou sans robots autoreproductibles(*) ;

IV) La colonisation galactique constitue une entreprise relativement rapide ; elle peut s’achever en moins d’un milliard d’années, ce qui ne représente qu’une faible fraction de l’âge de la Voie Lactée (**).

Si les hypothèses I) à IV) sont valables, la conclusion « ils devraient être ici » s’impose clairement et le paradoxe de Fermi prend tout son sens. Les partisans de ETI infirment l’une au moins des hypothèses III) et IV) ; certains vont même jusqu’à abandonner l’hypothèse II), afin de sauvegarder l’hypothèse de base I). Leurs opposants soutiennent, par contre, que les hypothèses III) et IV) sont parfaitement plausibles et qu’il faudrait certainement rejeter l’hypothèse II) : les plus extrémistes rejettent même l’hypothèse I).

Trois remarques de ma part :
(*) Von Neumann, bien connu des informaticiens, a proposé en 1951 un modèle théorique de systèmes permettant la conquête automatique de l’univers. Ces machines, dites de Von Neumann, sont des robots capables de se reproduire automatiquement. Ils comportent un système « constructeur » et un système « programme » et se répliquent identiquement à eux-mêmes avec pour objectif de conquérir la Galaxie. Evidemment, il ne s’agit que d’un concept et nous ne savons pas encore construire de système autoreproductible, même si les progrès de l’informatique et de l’intelligence artificielle nous permettent de lever un voile sur ce que pourrait être dans le futur une telle réalisation. Néanmoins, Von Neumann n’était pas qu’un visionnaire. A la fin de la deuxième guerre mondiale, il a défini l’architecture de base des ordinateurs et toutes les machines informatiques actuelles ont hérité de ses travaux fondamentaux. Toujours est-il que les vaisseaux-lumière de Polynesia sont bien des systèmes autoreproductibles.

(**) Bien des personnes nomment notre Galaxie la Voie Lactée. J’aime bien faire la différence. De la terre, à un instant donné et un lieu précis, nous ne voyons qu’une partie des étoiles de notre Galaxie et, de plus, tout le noyau central est masqué par de gigantesques nuages de gaz. Quand on est plongé au sein d’une grande forêt, même clairsemée, on ne peut dire qu’on la voit dans son ensemble parce que l’on aperçoit un horizon de troncs d’arbres. Et a fortiori, si un mur continu (notre terre) masque l’horizon sur une moitié de l’espace, celui qui est sous nos pieds est masqué par la Terre. Il est impossible de voir notre Galaxie dans son ensemble. La voie lactée n’en est qu’une trace bien faible. Seuls des modèles mathématiques permettent de reconstruire l’image que l’on aurait de notre île univers aux bras spiralés. Et si nous étions capables d’en sortir et de la voir alors entièrement … nous pourrions admirer une image semblable à celle de notre belle voisine la galaxie d’Andromède.

(***) ETI (Intelligence Extra Terrestre, en anglais ETI). Programme de recherche de contacts extraterrestres, entrepris à partir des années soixante par des scientifiques de tous pays utilisant principalement des radiotélescopes. À ce jour, aucune réception radio confirmant l’hypothèse ETI n’a été détectée. Pour cette raison, même les partisans de cette approche doutent de la validité de certaines des hypothèses du paradoxe de Fermi !

Voici d’autres réflexions trouvées sur le site de l’Observatoire de Paris :

http://media4.obspm.fr/exoplanetes/...

Il est intéressant de noter que l’auteur se limite encore à notre Galaxie. Par ailleurs, comme il fait un parallèle avec l’extension des Polynésiens au sein du Pacifique, peut-être a-t-il lu Polynesia !!
<<< Toutes les civilisations ne sont peut-être pas expansionnistes (agressives, colonisatrices), et peuvent choisir de ne pas coloniser d’autres systèmes.

Les humains le sont, et il en suffirait d’une seule. Et si le principe d’exclusion biologique (selon lequel "Deux espèces ne peuvent pas partager la même niche écologique" s’applique aux espèces intelligentes, alors il n’y en aura finalement qu’une !

La Galaxie est vaste, le temps de colonisation serait extrêmement long. Même avec la technologie de fusées ACTUELLE, il suffirait de quelques siècles pour atteindre des planètes autour des plus proches étoiles (sous hibernation ou à bord de vaisseaux-colonies). Si on ajoute quelques siècles de plus pour rebâtir une nouvelle civilisation similaire à la précédente et continuer l’expansion, chaque étape prend 1000 à 10000 ans. Si on double le nombre de planètes colonisées tous les 10000 ans, il suffit de moins d’un million d’années pour coloniser 10 milliards de planètes, c’est-à-dire virtuellement toute la Galaxie ! Notez que ce même processus de phase d’expansion suivi d’une phase de colonisation et "consolidation" et ainsi de suite… a effectivement été appliqué par les habitants d’archipels d’îles du Pacifique !

Des êtres vivants ne risqueront pas leur vie en grand nombre pour errer des siècles à travers l’espace à la recherche de planètes. On peut envoyer des machines automatiques informatisées (des ROBOTS, en fait !), pour "reconnaître le terrain".

Le coût d’une telle entreprise serait prohibitif. Seul le premier pas coûterait, puisque le pas suivant serait effectué par la civilisation suivante. Ce premier pas pourrait être effectué (à l’aide de robots) à vitesse beaucoup plus réduite, donc réduisant considérablement les coûts de propulsion (qui sont dominants). Le mathématicien J. Von Neumann a de plus démontré qu’il est théoriquement possible de concevoir une machine "intelligente" (au sens de l’intelligence artificielle, mais dans une version très avancée) et auto-reproductrice (sur le modèle de l’ADN). Elle pourrait exploiter la planète d’arrivée pour construire des copies d’elle-même, y compris les fusées, les reprogrammer et les envoyer continuer la colonisation. Enfin, le coût de tentatives de communication radio (genre SETI, voir plus bas) sur plusieurs milliers d’années serait tout aussi prohibitif et moins "rentable".

Les machines se détérioreraient et ne pourraient pas se reproduire à l’infini sans erreur de programmation ou autre. On dispose déjà de méthodes de corrections automatiques d’erreurs très efficaces.

Des machines intelligentes pourraient menacer leurs créateurs (complexe de "Frankenstein"). On pourrait concevoir des dispositifs de sécurité du type des "Trois lois de la robotique" d’Asimov… ou encore considérer que cette nouvelle "race intelligente" a droit à son expansion indépendamment de ses créateurs !

La technologie nécessaire est encore loin d’être accessible. C’est faux en ce qui concerne la propulsion (et probablement à terme pour l’hibernation). Pour l’Intelligence Artificielle, l’extrapolation devient hasardeuse.

De plus, il n’est pas certain qu’il n’existe pas de limite intrinsèque (du type "comportement chaotique") aux performances des systèmes requis pour une telle entreprise. Les nombreux échecs spatiaux récents montrent la faible fiabilité atteinte aujourd’hui.
Mais demain ?
D’autres spéculations incluent la possibilité que des extraterrestres viennent en fait d’arriver (depuis moins de quelques années) dans notre système solaire, ou encore qu’ils sont là depuis longtemps et nous étudient sans se révéler (hypothèse du "zoo cosmique"). Certains ont suggéré que la ceinture d’astéroïdes, entre Mars et Jupiter, riche en métaux était une cible privilégiée pour l’extraction du minerai nécessaire à la duplication de machines de Von Neumann. Cette activité se traduirait par une émission infrarouge (notons qu’il existe effectivement du rayonnement infrarouge provenant de la ceinture d’astéroïdes, mais il est peut-être d’origine entièrement naturelle !).
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Prochainement : Revisitons le paradoxe de Fermi, une autre approche en fonction du tome 3 de Polynesia, Le Pouvoir des signes.