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Polynesia

La trilogie de Jean-Pierre Bonnefoy

Cellules et Combinaisons

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Lire la suite comme une nouvelle dans l’esprit de Polynesia…

Nous sommes au 51ième siècle. Deux hommes (des iH) discutent. L’un d’eux raconte la visite qu’il vient de faire dans un espace virtuel appelé : « GiGaTHM », Transmetteur Hyper Média de très grande étendue spatiale.

« Vous savez bien sûr que les humains de l’ancienne Terre habitaient dans des cellules qui possédaient des portes et des fenêtres ...
— J’en ai entendu parler, mais ça reste très vague pour moi tout ça, et je ne suis pas le seul dans ce cas. Nous de la jeune génération, ces vieilles histoires du passé ça ne nous branche pas des masses. J’ai bien peur d’avoir du mal à vous suivre.
— J’ai récemment visité l’un des GiGaTHM du vaisseau-lumière d’Orion. On y trouve toute une ville ancienne reconfigurée, on se croirait retourné plusieurs millénaires en arrière.
— Et c’était intéressant ?
— J’ai appris des tas de choses avec un Acont iA qui m’a servi de guide, en plus c’était une très jolie fille.
— Oui, certaines iA sont très réussies. Il m’est arrivé avec l’une d’elles une aventure des plus… pardon, je m’écarte du sujet.
— J’y reviens. Ils n’avaient pas des cellules comme les nôtres. D’ailleurs, ils ne les appelaient pas ainsi, mais appartements ou maisons.
— Avec des portes et des fenêtres...
— Je vois que vous suivez quand même !
— Et ils passaient comme nous à travers.
— Pas exactement. En fait, il faut comprendre que les cloisons étaient… disons découpées, et qu’une partie pouvait pivoter… Ils devaient ouvrir cette partie appelée « porte » pour entrer chez eux ou pour en sortir.
— Ils ne passaient pas tout simplement à travers les cloisons réceptrices à leur ADN ?
— Eh bien non !
— Mais alors n’importe qui pouvait entrer ou sortir ? Pas très sécurisé comme système.
— Ils avaient un vieux truc appelé serrure dans laquelle ils mettaient une clé.
— Un peu comme un code secret inviolable à q-bits ?
— Non, non ! Mécanique ! Pas numérique et encore moins quantique.
— J’y crois pas ! Et les fenêtres ?
— Toujours des sortes de portes, mais cette fois pour avoir de la lumière ou de l’air…
— Les cloisons intérieures n’étaient pas naturellement émettrices de lumière ? Pas de capteur/programme pour des séquences lumineuses adaptatives évoluant sur les murs en fonction des pensées des habitants ?
— Il faudrait que vous alliez voir ces habitations-là pour vous faire une idée.
— Pas la peine, je commence à l’avoir ma petite idée !... Je parie qu’elles n’étaient pas équipées d’écrans périphériques pour voir sans être vu sur 360° à travers les cloisons. À tous les coups, il fallait regarder l’écran fenêtre pour voir dehors !
— Je crois que vous confondez fenêtre avec écran. Ils ne regardaient pas la fenêtre, ils ne regardaient pas un écran, ils regardaient directement dehors car la fenêtre, une fois grande ouverte, c’était comme un trou dans la cloison.
— Un trou ?! Faut être malade pour faire ça ! Et ça leur servait à quoi ? A regarder le paysage virtuel programmé pour la journée ?
— Pas du tout. Ils regardaient la Nature, ce que mon guide a présenté comme des espaces dans lesquels le monde était ce qu’il était avant que l’homme existe… quelque chose de ce genre.
— Je ne connais pas ce programme. Et quel était l’intérêt de ces séquences « d’avant l’homme » comme vous dites ?
— Je crois que les anciens aimaient la Nature parce qu’il y avait des arbres et des animaux.
— Des animaux ? Mais il fallait bien les programmer !
— Non, c’étaient des vrais.
— Vous voulez dire des iA bioniques, des sortes d’automates ressemblant à nos BioCom ?
— Si vous voulez. Après la visite d’une maison, j’ai eu droit à une visite de la ville.
— Et ça s’est passé comment ? Une visite moderne en navette magnétique et volante dernier cri, ou quoi ? Avec ce que vous me racontez depuis le début, je m’attends à tout.
— Et vous aurez raison ! Une visite avec une charrette tirée par un cheval ! Une plate-forme avec des roues tirée par un animal.
— Un animal ?! Quel genre, l’animal ?
— Le guide a dit naturel. Donc vraiment vivant… enfin je crois, j’ai peut-être mal compris. Ce devait être encore un animal bionique, une iA en fait, mais en forme d’animal, pour faire vrai.
— C’est quand même intéressant. Enfin, si je comprends bien, ils essaient de faire très réaliste dans ce GiGaTHM,
— Tout à fait. Et puis il y a les vêtements !
— Qu’est-ce que vous allez encore m’apprendre !
— Ils ne portaient pas de combinaisons auto-adaptatives comme les nôtres mais des sortes de pièces plus ou moins ajustées et plus ou moins indépendantes.
— Vous voulez dire non thermo-régulées ?
— Absolument.
— Sans système dynamique d’aide morphologique au déplacement ?
— Oubliez aussi les fonctions d’écran courbe, oubliez les petits symboles animés qui courent comme en ce moment même sur la vôtre et qui montrent vos préférences politiques !
— Mais alors, qu’est-ce qu’ils affichaient sur leurs combinaisons, je veux dire sur leurs vêtements ?
— Rien. Ou alors parfois un petit écran fixe 2D avec une marque de fabrication.
— Un écran fixe 2D ! Mais ils étaient très primitifs.
— C’étaient nos ancêtres et on dit même que les ancêtres de ces ancêtres portaient comme vêtements des peaux de bêtes.
— Vous me faites marcher !
— J’ai peut-être encore mal compris… mais enfin ces vêtements n’étaient pas comme les nôtres, comme une deuxième peau, ils flottaient vraiment autour d’eux.
— On ne voyait pas la forme de leur corps, ils la cachaient alors ? C’était fait exprès ?
— Ben oui !
— Je pense à une chose…
— Laquelle ?
— Ils n’utilisaient pas le RHET.
— Il n’existait pas.
— Alors ils ne se voyaient jamais nus.
— Non, c’est ce que j’ai compris. D’ailleurs, nu était un concept qui leur posait des problèmes différents des nôtres.
— Cette histoire de vêtements, ça me dit quelque chose… il n’y a pas un vaisseau où les iH et les iA portent ce genre d’accessoires plutôt étranges ?
— Si, mon guide me l’a dit, c’est le vaisseau des Pléiades.
— Ah oui, c’est ça ! Le vaisseau qui s’est fait une spécialité avec des conteurs qui font des manières en parlant…
— Des poètes !
— Voilà, exactement, des poètes. Vous êtes passé sur les Pléiades ?
— Non, j’en ai entendu parler, c’est tout.
— Vous me raconterez ça une autre fois. Il se fait tard et j’ai mon Mag à prendre pour Z5.
— Hé oui ! Vous allez sauter dans un puits de Mag et deux minutes plus tard, pas plus, vous serez arrivé devant votre cellule. Vous mettrez votre main droite au bon endroit. Le calculateur local identifiera votre ADN, qui sera confirmé par votre intelligence artificielle personnelle et, en une microseconde, la structure moléculaire de la cloison sera subitement modifiée, vous passerez au travers et vous vous retrouverez chez vous où votre adorable petite femme vous offrira un verre d’euphostar sans doute programmé pour, je vous le souhaite, une heure de bonheur …
— Où voulez-vous en venir ?
— Juste à une comparaison. Eux, ils avaient pour transport des engins individuels appelés voiture, propulsés par des moteurs thermiques bruyants, brûlant des composés organiques fossiles, émetteurs de produits polluants. En plus, il y avait parfois tellement de voitures que les voies étaient saturées et…
— Vous êtes en train de me dire qu’il n’y avait ni contrôle des flux, ni régulation de ce moyen de transport ?
— Hé non !
— C’était l’anarchie.
— Un peu, oui. Comme pour les naissances…
— Je ne vous suis plus du tout. Quel rapport avec les transports ?
— C’est simple : chaque famille procréait comme elle voulait.
— Ils pouvaient faire autant d’enfants qu’ils désiraient et quand ils voulaient ?
— Puisque je vous le dis ! En fait, le guide m’a appris que tout ça faisait partie d’un système de gestion catastrophique qui accéléra la destruction de la Terre.
— A la réflexion, c’est bien pour ça que nous sommes ici, non ?
— Difficile de dire le contraire.
— Savez-vous que cette conversation finirait par me déprimer... Pas vous ? Toute cette civilisation ringarde !
— Autres temps, autres moeurs !
— C’est beau ça ! C’est de vous ?
— Non, et ça ne date pas d’hier !
— Quelle culture ! Vous m’impressionnez. Je me sauve avant d’être totalement déprimé. »