twitter facebook

Polynesia

La trilogie de Jean-Pierre Bonnefoy

L’île et les moai

Retour à la page Rapa Nui, l’île de Pâques

L’île de Pâques est austère. Partout, des volcans éteints   dont quatre seulement ont encore leur cratère béant. La plupart aux dômes arrondis, parfois remplis d’eau, toujours dans un paysage d’une froide beauté. Rapa Nui est surprenante. Pas de port pour les gros navires. Les cargos mouillent au large et quelques barges font la navette avec le port minuscule. Plus proche des habitations, se trouve un autre abri encore plus précaire, à moitié ouvert vers l’océan et finissant par une toute petite plage où viennent jouer les enfants de l’île  . Un endroit battu par la houle, mais un peu protégé quand même par un quai derrière lequel quelques barques à moteur colorées sont amarrées à un énorme cordage traversant la petite anse.

Tout à côté, un seul village, Hanga Roa, concentrant les 4000 habitants qui ne respirent pas la richesse. Pas de grands hôtels, pas de buildings, pas de boutiques si ce n’est un unique lieu qui se veut culturel et où sont parqués des artisans attendant les touristes. S’égrenant le long de la rue principale, des étals et des cabanes de petits vendeurs, et des commerces de première nécessité.

Le reste de l’île demeure totalement sauvage. Un paysage de lande ou de steppe avec, parfois, un rare et maigre bois d’eucalyptus. Mais le plus souvent, c’est une proportion sidérante de cailloux et de pierres se perdant à l’horizon, une immensité lunaire, minérale, cristallisée, calme et silencieuse. Une autre planète. Sur le sol, des éclats de lumière noire, de l’obsidienne. Parfois une petite route, souvent une piste. Pas la moindre maison, pas de bâtiment ni de ligne électrique, aucun signe de civilisation moderne. Rien qu’une terre aride et désolée que traversent des hordes de chevaux sauvages et que dominent quelques rapaces. Et puis, bien sûr, il y a les moai.

Les moai, ce sont eux les vrais habitants de l’île, ils en sont les seigneurs ! Ils sont partout    ! Debout, tombés, entiers, cassés, seuls, ou alignés en groupes par cinq, sept ou quinze, au bord des rochers et de la mer toujours rugissante, giflés par les embruns ou égarés dans la lande, terminés ou en chantier, comme sur les flancs du volcan Rano Raraku, lieu tabu où les anciens Pascuans ont laissé un atelier à ciel ouvert. Un atelier fabuleux où gisent, inachevés, des colosses de plusieurs dizaines de tonnes. Ils sont des centaines, voire un millier, perdus dans un paysage que l’on croirait volontairement pauvre, amplifiant l’incroyable présence de ces géants érigés sur des plates-formes de pierres - ahu - rappelant les marae des autres îles polynésiennes. Depuis des siècles, tournant immuablement le dos à moana, l’océan, ils scrutent le ciel de leur étrange regard sans fond.

Qui n’a pas vu l’ahu Tongariki n’a pas vu l’île de Pâques. Là, plus qu’ailleurs, on ressent l’étrange pouvoir des lieux. L’île de Pâques n’est pas une île comme les autres. Ce n’est pas son terrible isolement de toute autre terre, de tout autre continent, se chiffrant en plusieurs milliers de kilomètres, qui l’a créée. Ce ne sont pas non plus les moai qui pourtant la caractérisent. Ce sont les moai SUR leur île qui font Rapa Nui. Le Tongariki contient à lui seul la quintessence du mystère. Le paysage pascuan est tout entier fait pour les moai. Les moai ne seraient peut-être pas ce qu’ils sont, les moai ne dégageraient peut-être pas toute cette impression de force, si les plaines et les vallons n’étaient pas aussi pelés, d’aspect minéral et désertique, et ne les présentaient pas comme émergeant du plus sobre et du plus insolite des écrins. Sur l’ahu Tongariki, immense tumulus de pierres de forme parallélépipédique, quinze moai alignés parallèlement à la côte qu’ils dédaignent et rigoureusement rangés les uns à côté des autres. C’est le plus grand monument du Pacifique sud. La puissance qui en émane pour tous ceux qui le découvrent, tient autant des statues que du site en lui-même. Une immense plaine descend du volcan Rano Raraku. La pente, d’abord rapide, devient très vite lente et se désespère vers l’océan. Elle développe une sorte de gigantesque amphithéâtre de deux à trois kilomètres de diamètre, bordé par le volcan à l’ouest et par la mer au sud-est. Là, n’accordant leur présence qu’à cette vaste étendue, quinze géants de pierre regardent les étoiles des hauteurs de l’île  . À leur gauche, des collines désolées plongent quasiment à la verticale dans le Pacifique. Dans un semblant de baie, très inhospitalière, surgit des eaux toujours tumultueuses un piton deux fois plus haut que large. Cette dent d’ogre tente de rivaliser avec le pouvoir vertical des moai. Devant ces guerriers, il n’y a que l’espace qui sied à ceux qui dominent le monde. Rien qu’une très pauvre terre pour que tout homme osant y naître soit convaincu, face au mana des colosses de pierre, de sa misérable condition. Ils sont l’univers à eux tout seuls et, comme pour bien l’affirmer, le néant s’étend devant eux, tandis que dans leur dos les puissances océanes se perdent en vaines agitations.

L’océan ! Pour nous, un mois en son intime compagnie, uniquement pour découvrir Rapa Nui par la mer ! Les îles doivent toujours être découvertes par la mer, et cela doit prendre du temps. C’est comme ça qu’on peut comprendre. Seuls les gens de mer peuvent entrevoir ce qu’a été la route, puis l’arrivée des premiers Polynésiens sur leur île, sur leur plage, Anakena  . Ce n’est pas tant l’accès avec de grandes pirogues qui en lui-même paraît déjà une performance, c’est surtout que, à part une autre bande de sable ridicule, la plage Ovahe un peu à l’est, et le minuscule et précaire abri de Hanga Roa, Rapa Nui n’est pas une île accueillante par l’océan. Partout des roches déchiquetées, éclatées, agressives, aussi bien pour les Terriens que pour les marins. Et cette houle toujours présente, et ces déferlantes toujours montrant les dents et déchirant une côte noire et grise, toujours. Rapa Nui n’est pas une île pour bateaux.

Pourtant, les anciens Polynésiens y sont bien arrivés il y a des siècles, sans cartes et sans instruments, uniquement en suivant les chemins d’étoiles et Te Hitia-o-te-Rä. Le premier roi de l’île de Pâques accoste avec sa pirogue double à Anakena, la seule vraie plage de Rapa Nui. Entre des roches agressives continuellement battues par les flots, se love une merveilleuse petite anse de deux cents mètres de large de sable blanc immaculé, la plage de ses rêves. Là, entre les roches volcaniques, sa femme met immédiatement au monde Atariki. Quand il lève les yeux, il a une vision. Pour remercier les dieux de lui avoir enfin donné son île, sa plage et son fils, il érigera là des colosses de pierre. Ils domineront le monde, et comme lui en ce moment même, immobiles et fièrement tournés vers l’intérieur de l’île, ils auront le regard perdu dans les étoiles en mémoire de la route.

Les mystères

Quels sont les mystères généralement évoqués ?

L’origine des habitants de l’île de Pâques, les Pascuans.

Les grandes statues, les moai.

L’effondrement de l’ancienne société de l’île de Pâques.

Les Rongo Rongo.

Bien des travaux atténuent fortement l’aspect mystérieux de l’origine des habitants, des moai ou de l’ancienne société pascuane. Voir : Effondrement d’une société.

Mais l’énigme posée par les Rongo Rongo n’a pas avancé d’un pouce depuis leur découverte en 1864. Voir : Les Rongo Rongo.

Personne ne sait si les Rongo Rongo constituent ou non une écriture. Personne ne sait à quoi ils pouvaient bien servir ? Personne ne sait si les signes ont été créés à l’île de Pâques même, ou apportés de l’extérieur, par exemple comme le dit la légende, par Hoa-Tu-Metua, le père fondateur de Te pito o te henua, le nombril du monde. Il serait arrivé avec sa grande pirogue double sur la plage d’Anakena avec 67 Rongo Rongo…

Toujours est-il que les Rongo Rongo portent une formidable charge onirique et représentent l’un des principaux moteurs de l’action développée dans les tomes 2 et 3 de la trilogie Polynesia.