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Polynesia

La trilogie de Jean-Pierre Bonnefoy

Rapa Nui

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Rapa Nui

Dans Polynesia, où avant toute autre chose la quête de l’île rêvée est l’enjeu fondamental de tous les personnages, Rapa Nui se devait d’occuper une place à part. D’abord parce que c’est encore, et que ce fut aussi dans les temps anciens, une île différente de toutes les autres, ensuite parce que dans Polynesia on peut se demander si Hoa-Tu-Metua ne ferait pas que rêver son île.

De fait, l’île de Pâques a été, et demeure toujours mystérieuse. Et pour que le mystère persiste ne faut-il pas, telle l’image de la femme idéale, que l’île reste en partie cachée derrière l’horizon de nos rêves ?

La légende prétend que le roi Hotu-Matua (Hoa-Tu-Metua dans Polynesia) habitait la terre de Mare Renga, vraisemblablement l’île actuelle de Mangareva de l’archipel des Gambier. Hotu-Matua rêve d’une île. Il voit une très belle plage au-delà de l’horizon. Il envoie des hommes pour reconnaître cette terre. La légende commence ainsi. Cette légende prétend aussi que leur grande pirogue double atteignait quatre-vingt-dix pieds de long ! Ce qui en fait un navire de très grande taille capable d’emporter sur le grand Océan tout un petit peuple de migrants.

Polynesia raconte également comment Hoa-Tu-Metua est concerné par les formes comme par les signes. Les a-t-il créés ? Sait-il utiliser la puissance qu’ils semblent recéler ? La légende dit que Hoa-Tu-Metua finit par quitter Mare Renga, en raison de son rêve, mais aussi parce qu’il se querellait avec son frère Te Ira-ka-tea (Te Irakatea dans Polynesia), et qu’il emporta sur sa grande pirogue océanienne 67 tablettes qui sont en fait des Maori ko hau Rongo-Rongo. Plus simplement des tablettes dites « Rongo-Rongo » couvertes de signes, des sortes de glyphes souvent anthropomorphes. Personne ne sait ce que sont les Rongo-Rongo, ils ont le parfum du mystère comme l’île cachée à l’horizon et représentent bien l’un des moteurs de la quête de tous les personnages de Polynesia.

Rapa Nui est aussi un symbole. Celui des limites du monde. Elle est dans le Pacifique la terre la plus proche de Te Hitia-o-te-Rä, le soleil levant. Elle est la limite extrême Est de l’immense triangle polynésien, là où l’extraordinaire périple des migrations prit fin.

Il y a une centaine de générations, les divins anciens Atea et Atanua quittèrent l’île de Vava’u (Les Tonga ou La Première-Née (Bora-Bora) ?). C’est ainsi qu’ils arrivèrent sur Havai’i (Raiatea), puis sur La Terre des Hommes (Les Marquises) et bien évidemment sur Mare Renga (Mangareva)… Enfin, ils durent se rendre à l’évidence : en arrivant sur Rapa Nui, ils avaient atteint les limites du monde !

Est-ce pour cela que les grandes statues, les moai, tournent le dos au grand Océan ? Lui reprochent-ils de ne plus avoir d’îles à rêver ? Et pourquoi les moai regarderaient-ils les étoiles, sinon pour ne pas oublier les longues routes des Anciens sous les piliers d’étoiles, Hetu ahi-ahi, l’étoile feu (Vénus) ; Matariki, le petit filet (Les Pléiades) ; Metau no Maui, l’hameçon de Maui (le Scorpion) etc.

Ainsi les grandes statues garderaient-elles dans leur étrange regard le souvenir de la dernière route vers les limites du monde où les premiers Pascuans se perdirent.

Rapa Nui avait-elle d’autres noms, Mata ki te Rangi, « Les yeux qui regardent les étoiles » en raison des moai ? Et Te Pito o te Henua, « Le nombril du monde », parce qu’ils s’y égarèrent ? Parce qu’ils ne virent plus en cette pauvre terre, étant donné son isolement extrême, que LA terre, l’unique, le centre de l’univers, le nombril du monde ?