twitter facebook

Polynesia

La trilogie de Jean-Pierre Bonnefoy

Nus dans le RHET

Retour à la page 51e SIÈCLE AngKor et les Vaisseaux-Lumière

L’essaimage

L’expansion galactique généralisée des vaisseaux-lumière dans la Galaxie, appelée aussi « essaimage », a été fondée sur le RHET, élément essentiel d’un nouveau type de communication. Tous les vaisseaux sont équipés de ce dispositif qui, condition de leur survie à grande échelle, autorise le transport par télétransportation instantanée d’une personne quelconque. C’est une extraordinaire découverte qui s’est faite au 32ième siècle. Elle est, avec la genèse des vaisseaux, le second élément fondamental permettant l’essaimage de la race humaine dans l’espace galactique. Cependant, elle repose sur quelques particularités étonnantes dont les raisons profondes échappent encore aujourd’hui, au 51ième siècle, aux plus compétents des théoriciens. La plus connue de celles-ci, l’une des seules comprises par les néophytes, est la contrainte découlant du Principe Anthropique de Conscience Quantique, le PACQ. Ce principe stipule que la télétransportation est possible uniquement dans le cas de matière organique consciente.

Le PACQ

La découverte du PACQ, à l’origine du RHET, il y a maintenant plus de deux mille ans, a énormément perturbé les bases essentielles de la connaissance. Pendant un siècle, les scientifiques ont tenté de télétransporter, sans résultat, de la matière ordinaire, simple et inorganique. On a découvert qu’en fait on pouvait parfois réaliser le processus avec un animal supérieur tel un chat ou un chien, en général avec les mammifères, mais dans un premier temps sans savoir pourquoi. Aucun résultat n’a jamais été obtenu avec les invertébrés et les reptiles, ni avec tout autre organisme simple tels que virus ou bactérie. Évidemment, on a fini par se rendre compte que cela fonctionnait aussi avec un humain. Et surtout que cela fonctionnait beaucoup mieux. Cette découverte a complètement transformé la vision aussi bien des sciences dites dures que celle des sciences biologiques ou des sciences humaines. Il est apparu absolument incontournable de ne télétransporter qu’un organisme conscient de lui-même. Toutes les cultures en ont été affectées. Les notions de conscience, comme celle de libre arbitre, ont été littéralement bouleversées. Les théoriciens se sont mis à développer des liens fondamentaux entre la structure intime de l’univers, la gravitation quantique et les modèles de la conscience développés dans les sciences cognitives. Des idées très anciennes sur le rôle étrange que joue le temps dans les processus conscients ont refait surface.

Le paradoxe JSB

L’épisode tragique de la mort d’un des plus grands compositeurs de tous les temps illustre ce problème connu aujourd’hui sous le nom de paradoxe JSB. Alors qu’il composait la partie finale de L’Art de la Fugue, Jean-Sébastien Bach est mort brutalement. Or quand on écoute cette oeuvre, il y a dans la partie effectivement écrite une présence extraordinaire qui se perpétue longuement lorsque le morceau inachevé s’arrête et qui démontre que le musicien savait ce qu’il allait écrire au moment même de sa disparition. Le paradoxe est que le compositeur a dû avoir une vision globale et instantanée de son oeuvre, alors que celle-ci avait besoin pour exister totalement d’une évolution temporelle importante, techniquement inséparable de la production musicale. D’autres pensent que l’homme s’est fourvoyé dans des concepts abstraits qui servent les modèles de la pensée mais qui n’ont pas de bases réelles. Le passé, le présent et le futur traitent des systèmes en évolution, la conscience de soi qui passe par le RHET n’a plus rien à voir avec eux, car le passage est une négation temporelle.

Un moteur économique

Il y a dans l’interprétation de la conscience et de l’évolution naturelle du temps une question fondamentale qui demeure encore sans réponse au 51ième siècle. Le fait est que le Réseau Hyper Espace-Temps existe, qu’il fonctionne très bien, et que sans lui la conquête des étoiles aurait été une impossibilité. À terme, l’absence de liens constants et d’échanges entre les vaisseaux aurait provoqué la mort tragique de micro-civilisations repliées sur elles-mêmes, chacune engagée dans une disparition lente et inéluctable, due à une solitude extrême et très morbide. Les extraterrestres n’appartiennent plus qu’à une époque oubliée qui projetait dans l’espace ses propres fantasmes. Ils n’existent pas. L’homme est le seul maître de cet univers. En permettant l’échange continuel d’informations, le RHET est le moteur du développement économique et culturel de la Galaxie. L’information est une richesse inépuisable. C’est elle, uniquement, qui circule entre les vaisseaux. Le transport d’un humain ou celui de sa conscience est de fait rigoureusement la même chose : un simple transport d’informations. Cette technique repose sur l’existence d’un temps absolu, commun à l’ensemble de la Galaxie et qui brise le concept de temps relatif, toujours vérifié pour des objets relativistes évoluant hors du RHET.

Nu dans le RHET

N’importe qui peut utiliser le RHET. On classe généralement les utilisateurs, appelés aussi passeurs, en deux grandes catégories. Il y a les Acom qui gagnent leur vie en transportant les données les plus diverses, et puis il y a tous les autres voyageurs, professionnels de toute nature, visiteurs et touristes, etc. Cependant, cette distinction n’est pas si facile pour une raison bien connue : rien ne différencie un Agent communicateur d’une quelconque personne visitant par exemple une famille éloignée. Car la caractéristique la plus étrange du RHET, à laquelle les humains du 51ième siècle sont habitués depuis deux mille ans, est que l’on ne peut pas passer dans le réseau autrement que complètement nu.

Le passage

Passer totalement nu est évidemment une des conséquences les plus étonnantes du PACQ qui interdit le passage de toute matière inconsciente et donc de tout vêtement ou accessoire. Cette contrainte a entraîné un fort développement des infrastructures d’accueil autour des centraux pour permettre aux partants, ainsi qu’aux arrivants, d’accéder à tous les services dont ils ont obligatoirement besoin. En théorie, le passage ne demande pas de capacité particulière. Dans la pratique, il est bon de subir une petite formation ou d’utiliser des molécules spéciales qui, sans accroître nécessairement les performances de la mémoire, évitent bien des désagréments.

Les Acom

Les Acom sont soumis à des rythmes de mémorisation et de démémorisation intensifs. Ils ne peuvent pas exercer leur métier sans un entraînement constant, alternant avec des périodes de récupération indispensables. La procédure à laquelle ils sont astreints demande une très grande préparation mentale et physique. Aussi bien pour mémoriser le message à transporter que pour se mettre dans les conditions idéales pour le restituer sans erreur, minimisant ainsi les risques de perte de contrôle de la mémoire. Car il y a des risques pour ceux qui cherchent à accroître leurs performances intellectuelles sans entraînement adapté. La mémorisation excessive de souvenirs qui n’appartiennent pas en propre à l’individu peut briser la notion de conscience de soi. D’autre part, l’artifice qui consiste à remplir bien plus vite que la normale la mémoire d’une personne peut également affecter de manière irréversible les ponts synaptiques d’un cerveau humain, passage obligé des neurotransmetteurs, agents chimiques de l’influx nerveux. En essayant sans contrôle de transporter des souvenirs que l’on n’a pas soi-même constitués, on s’expose à des accidents. Le plus grave est la perte pure et simple de la personne dans le RHET, parfois à cause d’un travail excessif sur la mémoire, d’une surcharge pour un Agent communicateur, etc. Ces situations dramatiques sont rares, mais il ne faut pas les négliger et tous les futurs passeurs les connaissent, ou du moins en sont avertis.